Tout commence par une histoire, celle de Karen, Alpha, Hamilton, Alice, Maxime et Clément. Ces histoires deviennent nôtre dès lors que l’on entend les premières paroles résonner dans la salle. Les toiles peintes révèlent le portrait de chacune de ces personnalités qui nous plongent petit à petit dans leurs utopies intimes ; le récit de leurs représentations. Ils deviennent des “modèles”, les principaux référents d’une série au titre évocateur :
Les Nouveaux Classiques.
Ce projet est avant tout une histoire de rencontres et d’amitiés que l’artiste cristallise sur la toile en sublimant les pulsions identitaires de son entourage. Dans un dispositif d’exposition tout à fait singulier, des confessions nous parviennent de part et d'autre des tableaux. L’artiste partage avec nous les sentiments et les rêves confiés par chacune et chacun grâce à ces enregistrements de quelques minutes. Nous découvrons l’environnement choisi et imaginé librement par chaque modèle que l’artiste dépeint ensuite : leur village natal, la cité, un terrain vague, chez-soi, ou encore quelque part dans le cosmos… Nous les entendons décrire avec précision, élément par élément, le lieu qu’ils imaginent, une situation idéale, faisant écho parfois à leur passé, leur présent, ou leur futur. Chacun de ces environnements est alors ponctué de symboles liés à leur personnalité, leur vécu mais aussi leurs fantasmes. Notre regard parcourt ainsi la toile à la recherche des éléments disséminés dans ces scènes, comme une manière de nous inviter à y participer. C’est aux spectateurs d’écouter attentivement ces histoires, prêtes à être entendues, et de se saisir de ces moments lorsqu’ils découvrent les œuvres.
Ce dialogue intime amène à une scène rappelant évidemment les portraits picturaux commandés jadis par les classes aisées afin d’asseoir leur réputation et leur rang social.
Jérémie Danon reprend ces codes traditionnels remis au goût du jour : tout le monde peut prétendre devenir œuvre. Les réalités possibles sont sublimées par leurs fantasmes permettant une affirmation de leurs identités. Les mots sont justes, sincères et plus qu’un partage, ils deviennent de véritables scènes, mises en lumière, où les visiteurs sont inévitablement plongés, comme dans une salle de cinéma.
En opérant un décalage des codes du documentaire sur la peinture, rehaussée par une installation sonore, Jérémie Danon s’approprie ces mêmes codes pour créer son propre langage et présente de façon originale le récit de ces histoires qu’il monte comme un film. Cette approche singulière se retrouve aussi dans le choix des médiums où la peinture se mêle au décor 3D qu’artiste et modèles créent ensemble. Cet assemblage se rapproche, paradoxalement, d’une vidéo sans mouvement, comme si l’on avait arrêté le déroulement du film pour se concentrer sur un plan unique. Ce parti pris affirme d’une certaine manière le geste de l’artiste ; à son tour, Jérémie Danon renforce son identité esthétique et plastique pour continuer à nous surprendre.
De la même manière qu’un contrat de confiance existe entre l’artiste et ses modèles, c’est entre les spectateurs et les toiles animées que quelque chose se passe. On s’adresse à nous comme pour nous interpeller un instant. Chacun des six protagonistes nous confient leurs histoires et nous ouvrent leurs cœurs sans limite ni retenue pour exposer leurs visions de la réussite, révéler qui ils sont vraiment, ou exprimer leurs plus forts désirs. Leurs doutes sont portés à la vue de toutes et tous, comme une manière d’en prendre conscience pour eux-mêmes et de les accepter. Ces récits personnels se déplacent du contexte d’un tête à tête à l’espace public pour s’ouvrir à un plus grand nombre, transmettant, quelque part, une identité partagée. Ils résonnent avec nos propres histoires personnelles, nos référents ; bien que tous différents, chacun peut s’en saisir et les faire siens.
En dessinant le portrait audio et visuel de Karen, Hamilton, Alpha, Alice, Maxime et Clément, l’artiste partage avec le public des émotions, des souvenirs, des rêves qui nous atteignent. Cette atmosphère bienveillante et lumineuse nous place toutes et tous au même niveau. Plus que des histoires personnelles, cela nous raconte l’humanité, ses craintes, ses doutes, ses désirs en toute humilité. Ce qui nous pousse peut-être à nous demander nous aussi, à quoi rêvons-nous ?
Commissariat et texte : Miléna Chevillard / Maxime Bourron