L’exposition « Faire fi, faire feu » réunit les oeuvres de Marcella Barceló, Xolo Cuintle, Julien Heintz, Léna Long, Ibrahim Meïté Sikel, Mateo Revillo, Ugo Schildge, Raphael Sitbon curatée par
Myriam Brando.
Cette exposition présente la vulnérabilité non pas comme une faiblesse à cacher, mais comme une ressource créative à exploiter. Les jeunes artistes exposés explorent la dualité entre inertie et action, à la recherche d'un arc de sens comme l'ont écrit les philosophes Gilles Deleuze et Félix Guattari. Il existe une certaine contradiction dans le titre, "faire fi" de la fragilité, l'ignorer et la mépriser et le mot feu, qui est plus violent et induit l’idée d’une (ré)action emportée, d’un mouvement qui se consume.
L’installation du duo d’artistes Xolo Cuintle nous invite à déambuler dans un jardin fantomatique, où l’ensemble des végétaux sont pétrifiés et figés. Sans répondre au « quand » et au « pourquoi », ils montrent le « comment », tel un manifeste de la fragilité humaine. Une empreinte laissée sur une nature depuis longtemps disparue. Une forme d’équilibre se dessine entre l’éphémère et l’intemporel grâce à la représentation d’éléments de la nature : les racines, les fleurs, les plantes sont contrebalancés avec l’utilisation de matériaux issus de l’industrialisation tels le béton, l’acier, le ciment, le plâtre… A l’instar d’Ugo Schildge, son œuvre résonne comme un écho brutal de la violence de l’homme sur son environnement. L’artiste cherche à nous interroger sur la beauté et la vulnérabilité de notre existence. L’arbre en feu condamne t-il le monde à se consumer sous nos yeux impuissants ou amorce t-il les prémisses d’un combat féroce ?
Sous le trait de Marcella Barceló, les plantes carnivores contrastent avec les formes douces et l’air candide de son personnage. C’est comme regarder un cauchemar d’enfant : effrayant et pourtant innocent. Un sentiment mélancolique se dégage pour nous ouvrir les portes d’un espace irréel. Sa narration onirique dessine d’étranges paysages habités par ces corps sans âge sortis tout droit d’une époque révolue pour nous dire quelque chose de la solitude et de la vulnérabilité qui l’accompagne.
A la figure du solitaire, Lena Long explore les fragilités du passage entre l’enfance et l’adolescence. A travers leurs tons aux couleurs vives et fluos, ces objets hybrides racontent un moment dont les contours de l’histoire nous échappent. La diversité des approches artistiques, via le prisme de l'individu et de la nature, offre une appréhension "ultra contemporaine" d’un état d’anxiété et d’incertitude connu de chacun, tout en insufflant de nouvelles perspectives de résilience.
Placée sous le signe de la fragilité, cette exposition rassemble des œuvres évoquant, chacunes à leur manière, la vulnérabilité des personnes et des lieux, passés et présents, proches et lointains. Les visages fantomatiques de Julien Heintz émergent alors. Intemporels, indentifiables, impassibles, les visages apparaissent comme la recherche d’un souvenir en mémoire: en faisant un effort. Ils portent un nouveau message : qu’il soit racisé, genré, ou exploité, le corps est le premier des nombreux lieux où la vulnérabilité apparaît, ou les combats font rage et se dénouent, et où la vie, dans toute sa complexité, débute et s’achève.
Les peintures d’Ibrahim Meïté Sikely dénoncent en arrière-plan l’injustice d’avoir été mis à l’écart, le renoncement, mais aussi un questionnement de certaines réalités sociales. Son travail est est une exploration de la vulnérabilité centrée sur l’expérience d’individus longtemps inaudibles et invisibles. Une nouvelle mythologie contemporaine s’écrit puisant forces et faiblesses dans les éléments biographiques de l’artiste.
Pensée comme un témoignage d'une persévérance naît de la vulnérabilité, cette sélection révèle autant de récits que de stigmates. C’est au cœur même de cette ambivalence que se dessine la promesse d’un nouveau monde, métamorphosé. En choisissant des fragments de vie comme point de départ à la création, Raphael Sitbon puisse l’essence même de son travail dans la vulnérabilité passée et domptée. Son travail de sculpture marie un mobilier familier, mais transformé, à des traits réversibles et sensibles. « De l’objet il ne restera que l’affect ». Il ne restera qu’une empreinte mystique fragile. Mateo Revillo explore ce même sentiment enfoui entre le mystique et la vulnérabilité. Deux coffres noirs sont voilés, différemment. L’un, par une toile peinte en cire d’abeille, patinée à rayures, arpentée par des escargots. Petit reliquaire, grillé comme le sont les nonnes d’un couvent, l’autre contient un cœur en argile. Jetté à l’eau, le cœur s’est dissout, n’y laissant que sa peau, en cire d’abeille. Un escargot, souvenir d’une abstraction mystique, illumine tendrement, comme dans les tableaux de Georges de la Tour, une scène délicate, fragile.
"Faire fi, faire feu" invite chaque visiteur à explorer cet espace inconnu, pourtant riche d'espérances. Un ode à la contemplation, un appel à l'action. A la résistance.