A l’occasion de la présentation de “Mon corps répond-t-il à son nom ?”, les espaces de pal project sont mis à la disposition d’
Hugo Guérin, jeune artiste qui livre ici sa première exposition personnelle. Elle clôt une période de sa formation artistique, celle de son activité dans les ateliers de l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts et nous présente le travail né de cette première page de son parcours. Cet ensemble de sept pièces uniques et d’une série de plus petites dimensions, né des choix opérés par l’artiste, s’installe donc dans les espaces élégants et épurés de pal project et nous dévoile la cohérence des thèmes qui ont guidé la création d’Hugo Guérin ces dernières années. L’artiste nous livre sa réflexion sur le contrôle du corps par des œuvres dont les formes vivantes et organiques entrent en résonance intime avec notre psyché contemporaine et évoquent nos inquiétudes avec lyrisme.
Les sculptures de Hugo Guérin nous obligent à sonder notre rapport au monde. Le dialogue avec le spectateur souligne l’importance de son regard pour animer ces œuvres. Les sujets de fond que portent les créations de Hugo Guérin paraissent ainsi tout aussi essentiels que leur réception si l’on souhaite parvenir à une réelle compréhension de son travail.
Les sculptures de l’artiste introduisent une relation avec le monde fondée sur un paradoxe. Ces œuvres sont nées d’un sentiment d’angoisse, source d’une inaction, elle-même vectrice d’un sentiment d’impuissance et d’une frustration et à terme d’une violence enfouie et latente. Dans ces formes à la fois intrigantes et inquiétantes, le calme cohabite avec la brutalité. Certains groupes sculptés, à l’image de Etapes de domestication (2021), synthétisent cette ambiguïté entre apathie et violence, entre puissance et faiblesse, entre noblesse et pathétique. Cette inquiétude a comme catalyseur le rapport que chacun entretient aussi bien avec son propre corps qu’avec celui des autres, notamment l’inquiétude de perdre le contrôle sur soi et sur son environnement. Les corps hybrides, déformés aux postures outrées et inconfortables matérialisent les angoisses nées d’un rapport inégal à la société. Ces peurs réveillent l’angoisse de la domestication qui définit le corps comme une forme malléable dont les métamorphoses expriment les pressions du monde extérieur, les caprices des hommes et leurs velléités de domination. La plus belle conquête de l'homme (2022), créature aux formes chevalines, par son ambiguïté entre la reconnaissance d’un cheval et l’évidence de sa déformation, témoigne bien de ce contrôle sur le corps qui l’a extrait de la nature au nom des besoins d’un tiers souverain. Avec Mon corps répond-t-il à son nom ? (2023), par l’association de son propre corps avec des formes animales, l’artiste aborde les peurs masculines contemporaines également liées à la domestication.
Ces œuvres apostrophent directement quiconque se laisse happer par leurs formes. Leur singularité rend l’indifférence impossible. Le choix de Hugo Guérin d’employer le corps comme base de son travail n’est ainsi pas innocent. Les formes humaines ou animales constituent des motifs reconnaissables de tous, accrochant le regard et servant à interpeller le passant. Le corps présente ainsi le double avantage d’être facilement détourné et aisément reconnu. Ces créatures apparaissent à nos yeux comme douées d’une éloquence mystérieuse, porteuses d’une parole à la fois silencieuse et bruyante, d’une énigme qu’il nous faut déchiffrer et que l’œuvre donnant son titre à l’exposition énonce, Mon corps répond-t-il à son nom ?. L'éveil de notre curiosité révèle le pouvoir d’attraction de ces objets, encore renforcé par leur apparence elle-même paradoxale, à la fois séduisante et repoussante, hybride et cohérente. Ce jeu entre attraction et répulsion accroît encore le mystère de ces sculptures qui ne se livrent pas d’elles-mêmes et opposent une résistance au regard. L'œuvre entretient ainsi une discussion intime avec son visiteur dans une gradation allant de la séduction à l’injonction, de la curiosité à la surprise. L'inquiétude qu’elles font naître chez le spectateur malgré leur immobilité pathétique introduit une nouvelle ambiguïté entre menace et impuissance. Le motif de la carcasse, sur lequel Hugo Guérin travaille en série, est l’expression même de ce paradoxe alors que les ailes, symboles de liberté débridée, pendent inertes offrant une image à la fois repoussante et fascinante, née du travail d’orfèvre de l’homme sur la chair.
La force des sujets abordés par ces sculptures mais aussi l’intimité du dialogue avec leurs destinataires sont rendues possibles par la technique déployée par Hugo Guérin. Sans avoir débuté son parcours par la sculpture, Hugo y est progressivement venu à la faveur d’un intérêt croissant pour la figure mais aussi d’un goût pour la rigueur technique exigée par ce médium. Travaillant essentiellement avec la céramique, la cire et le métal, la diversité des supports utilisés par Hugo Guérin sert l’émotion. La terre laissée apparente de La rage des sédentaires (2022) lui confère un aspect brut et un réalisme rendant la forme encore plus vivante et organique. La cire, assimilée à une peau à l’apparence soyeuse et diaphane, est souvent volontairement salie afin d’y insuffler plus de vie. Utilisant tous les leviers de l’art de la sculpture, Hugo Guérin crée des œuvres à la tridimensionnalité assumée, aux dimensions et aux dispositions variées. Ce faisant, il travaille sur le regard et le point de vue mais aussi sur la mobilité du regardeur autour de l'œuvre. Il établit les temps forts de l’approche physique de l’objet qui scandent le cheminement d’une attirance progressive.
La présentation des œuvres de Hugo Guérin dans les espaces du pal project, en abordant les sujets difficiles des angoisses liées à notre rapport au corps et au monde, nous invite à nous arrêter un instant pour vivre une expérience privilégiée d’introspection. Celle-ci apparaît d’autant plus bénéfique à une époque extravertie, prônant le partage des opinions, sans limite et sans dissonance. Pourtant, cette confrontation aux œuvres peut paraître difficile alors que celles-ci nous mettent face à une énigme comme Œdipe face au sphinx. En nous confrontant au même défi qu’Œdipe, ces créatures nous rappellent les bienfaits des vertus que le héros avait négligées, la modestie et la prudence dans notre croyance illusoire du contrôle. Face à ces monstres hybrides, nous nous retrouvons en face de nos propres énigmes enfouies souvent insondables et indéchiffrables.