Du 29 mars au 14 mai 2022 pal project présente
Spectres of Memory la première exposition individuelle de
Julien Heintz.
Des éclats de lumière attirent notre regard, malgré l’environnement crépusculaire qui résonne dans les oeuvres de Julien Heintz. Tels des spectres surpris par une étrange lumière éblouissante, des figures convoquent des souvenirs dont on se souvient encore mais qui s’éloignent inexorablement. De la même manière que la photographie nous permet d’appréhender une forme de mémoire, Julien Heintz imagine une approche de la mémoire de manière picturale.
Dans l’exposition
Spectres of Memory, des peintures très majoritairement peuplées de figures se matérialisent ici et là, dans et hors du cadre, faisant face au spectateur ou regardant - parfois même de face - dans le vide. Les têtes sans traits caractéristiques sont parfois embryonnaires. On ne distingue pas encore un visage. Ou peut-être était-ce autrefois un visage? Nous les regardons comme plongés sous une eau trouble. Il y a tout de même une identité récurrente qui prend forme dans la figure en uniforme - le soldat, le plongeur, ou la personne sous une casquette à large bord. Si la notion de spectre a des connotations obsédantes, ce qui est le cas de beaucoup de ces œuvres, les visages des personnages que nous ne pouvons pas voir entièrement sont des personnalités non fixées. Plutôt que des personnages clairement identifiables, il s’agit plus de l’idée de ces personnages, ambulants et pérégrinants dans la matière picturale. Un homme encapuchonné, un visage masqué, une identité transmutable.
Julien mélange souvent ses propres pigments. Il y a là un intérêt inné pour la mixologie d’un tel processus - cette science des interactions tourbillonnantes allant d’une matière à une autre, d’une nouvelle à une ancienne, et ce à l’infini. Dans Soldat, test nucléaire 1966, la matérialité est évidente dans ces coups de pinceau parcimonieux qui s’appuient sur le grain de la toile pour s’imprégner de la direction qu’ils prennent. Les figures menaçantes sont floues et muettes, de sorte que le sentiment de malaise qu’implique leur regard et leur habit s’estompent. Une certaine vérité du médium est au centre de chaque image - les coups de pinceau gâchent notre vue alors qu’ils sont la raison même pour laquelle l’image se trouve devant nous. Mais il n’y a pas d’angoisse, seulement un calme écrasant qui émane de l’ensemble de ses œuvres.
Les Coelentérés, ces " animaux marins dont le corps est creux " (méduses, coraux, anémones), font écho à la nature dans les peintures de moyen format de Julien et à leur effet sur notre vision. Nous regardons le sujet de cette grande toile comme si nous étions nous-mêmes en train de plonger sans lunettes de plongée. Blue Planet et ses semblables ont aujourd'hui une vision HD à la perfection, mais capturer une majesté microscopique en peinture nous ramènerait à une quête scientifique du XIXe siècle, à la Ernst Haeckel. Julien utilise le médium de la peinture pour ce qu'il est : un liquide humide. Les couleurs et les formes se déplacent et pulsent, l'une dans l'autre. Nous ne savons pas si la ou les créatures aquatiques que nous voyons devant nous sont réellement là ou si elles ne sont que le fruit d'une projection d’une peur sous-marine ; une présence tapie qui ne se révèle jamais, décidant plutôt de nous laisser à nos propres agendas subaquatiques.
Le don d’ubiquité est omniprésent dans l'exposition, peut-être l'une des dernières choses que l'on remarque. Les visages sont si grands qu'ils enveloppent le plan de l'image, traînés et déformés comme dans la tête bleu-vert de Sans titre (2022). Ou le torse sans visage qui revient à plusieurs reprises sur les murs de l'exposition - un corps étendu, une grandiose mise à l'échelle. Au lieu d'un sentiment d'intimité qu'un gros plan impliquerait, l’oeuvre est assaillie par un écran de brouillard créé par l'application de la peinture, forçant une distance entre elle et nous. Le torse est également un autre corps recadré, entretenant ce sentiment d'intrigue chez les sujets de Julien ; nous ne saurons jamais complètement. Nous ne pourrons jamais savoir totalement - c'est simplement du solipsisme (le problème des autres esprits). La présence d’inconnus et de souvenirs spectraux. Les spectres illusoires de Julien nous laissent sous le charme.
Esme Blair (traduit de l’anglais)
"Spectres of memory"