À la surface des incisions apparaissent, se patinent, ou disparaissent partiellement. Elles se tapissent dans le décor, au regard de tous. Ses vocations sont politiques, amoureuses, ironiques, revendicatrices, anodines. Ses apparences sont souvent celles d’un geste furtif. Elles se propagent sur des espaces et mobiliers publics, comme si une part de la pensée intime tentait de s’approprier publiquement quelques centimètres carrés d’expression. Elles finissent par prêter une persistance au réel, comme un fragment matériel du langage.
D’une certaine manière, Pedro Matos s’intéresse plus à un art qui transcende les formes ordinaires vers le champ de l’abstraction qu’à une retranscription sur le motif. Dans cette démarche il s’agirait davantage de saisir les effets du réel que sa propre anticipation. Messages politiques, noms, insultes, déclarations d’amour, dates, memes, signes hiéroglyphiques... Chaque inscription invoque une image dont la texture traduit une qualité abstraite, sinon une perception qui s’effrite selon la temporalité. Toutes génèrent une interdépendance de l’action humaine et des mutations de la nature.
Avant même d'émettre un quelconque geste pictural, Pedro Matos agit en collectionneur d’images. Il photographie, subtilise et reçoit des images de graffitis comme références. Le travail de sélection génère la matière première ensuite manipulée sur logiciel puis projetée. L’imagerie numérique devient ainsi l’incipit du geste pictural et influe sur l’expérience faite de l’œuvre. When we’re gone, déploie des surfaces fondues aux inscriptions graphiques zoomées, quasiment cryptiques. Les œuvres de Pedro Matos sont le résultat de ses explorations online et offline dont leurs souvenirs liquéfiés par la peinture finit par osciller entre saisir la matérialité et la désincarner. A chaque étape du processus créatif, les informations de l’image source s’augmentent et se perdent. La narration ne se soucie plus tant de la nature des inscriptions que de leurs aspérités et de leurs intentions communes de manifester une présence, un moment, un passage. Mais ici « l’unicité de l’existence »se désagrège, le hic et nunc (l’ici et maintenant) se dilue dans un contexte plus ambigu et contemplatif, volontairement plus vaporeux.
Le travail de Pedro Matos se construit sur la porosité présente entre l’abstraction et la représentation, l’une toujours au bord de l’autre, pour investir un sentiment contemplatif. C’est cette matière du réel, sous estimée et négligée qui devient relique de l’ordinaire. Paradoxalement, ce n’est pas d’après le motif mais d’après image que le geste pictural excède le temps qui s’est engouffré entre le geste initial fugace et son image capturant sa détérioration, déjà abstraite. Ce qui pourrait paraître hésitant entre le figuratif et son opposé se résout dans une peinture au sentiment plus métaphysique.
Si les inscriptions voient leur historicité s’éloigner, leur contexte happé, elles sont comme unifiées par l’image qui remet tout à plat. La composition permet de projeter un rapport de différence qui met en relation, si bien que ce qui apparaissait graphique et subjectif donne cet effet « flat » d’une surface étirée comme nouveau simulacre. Il pourrait s’agir ici d’une lecture « postmoderne » possible de la peinture actuelle, s’écartant de la pensée philosophique pour aller vers la forme. Où “sampler” le réel revient à emprunter et réemployer le haut et le bas registre sans distinction. En récupérant l’ordinaire pour le transposer dans le champ esthétique, le contexte relatif aux médias, à l’image et aux interactions qui en découlent suggère la nature du geste pictural. Enfin, l’évocation du simulacre revient à faire passe sur toute la profondeur. Ce serait tendre vers un type de superficialité où ce qui est donné à voir et à ressentir se tient formellement dans ce qui apparaît, chez Pedro Matos toujours au seuil d’une surface hermétique au potentiel sensible.
Tout élément même anodin devient image, fond, texture, surface et suscite une autre contemplation. Puisque le monde pris comme objet gagne en propension à faire image, la profondeur a quant à elle d’ores et déjà été supplantée par de multiples surfaces. Le travail de Pedro Matos passe outre l’apparence physique de ces incisions et s’approprie l’immatérialité qui réside dans la volonté de rendre nos vies éternelles, pour en dégager une poétique du quotidien comme esthétique du temps qui passe.
SCANDALE Project (Lucie & Fiona)
"When We're Gone"